Abbigaelle, au cours de sa courte vie pourtant bien remplie, avait été confrontée à un tas de situations délicates. Que ce soit ce jour où elle s’était saoûlée pendant des heures dans un pub des bas quartiers de la ville, avant de se rendre compte qu’elle n’avait absolument pas d’argent pour régler son addition… Elle avait quitté le bar en douce et s’était mise à cavaler pendant des plombes, complètement ivre, tandis que l’un des serveurs la coursait dans tout Liverpool. Ou cette fois où elle s’était retrouvée enfermée dans un jardin public une fois la nuit tombée, en plein hiver, et avait dû passer la nuit là. Pourtant, elle s’en était sortie avec fierté et considérait ces aventures comme des anecdotes rigolotes qu’elle raconterait à ses petits enfants une fois qu’elle serait vieille et ridée. Mais être coincée dans un placard dont le propriétaire se trouvait à l’étage en dessous, c’était une première. C’avait été instinctif, un réflexe, dès qu’elle avait entendu la porte claquer au rez-de-chaussée, elle s’était cachée dans la première planque qu’elle avait aperçue : le placard. Avec un peu de recul, c’était assez débile car elle se retrouverait sans issue, mais après tout, c’était toujours ce qu’ils faisaient dans les films, non ? Abbi n’y pouvait rien si elle était membre de la génération TV.

Elle se glissa furtivement dans le placard pas bien grand, tentant de faire le moins de bruit possible avec ses talons, et referma les portes derrière elle pour être correctement cachée. Elle était très forte au cache-cache, étant enfant, elle n’avait qu’à faire comme si elle jouait une partie contre un inconnu vivant dans une grande maison. Abbigaelle ne put s’adosser nulle part, l’armoire étant pleine d’objets qu’elle ne pouvait pas identifier dans le noir complet qui régnait là. Elle avait mis une main devant sa bouche pour masquer le bruit de sa respiration, ayant peur que l’intrus l’entende. Si ils le faisaient dans les films d’espionnage, c’est que ça devait marcher ! Oui, c’était vraiment gonflé de qualifier d’intrus une personne qui rentrait chez elle, surtout en sachant qu’elle venait de s’y introduire par effraction, mais étant donné que cette personne l’avait dérangée pendant un moment de paix intérieure, ça faisait de cette personne un intrus, dans le monde d’Abbi. Elle écouta le moindre son pouvant révéler quoi que ce soit, mais l’intrus restait apparemment au rez-de-chaussée. Tant mieux, ça lui laisserait la possibilité de s’échapper par la fenêtre qui l’avait permise d’entrer. Dès qu’elle entendit le bruit sourd de la télévision allumée, elle sut que c’était le moment ou jamais. Elle était assez déçue, elle aurait bien aimé pouvoir visiter le reste de la maison. D’autant plus qu’elle se retrouverait à son point de départ : glacée, sans le sou, et à Mossley Hill ! Elle tendit la main vers la porte du placard pour pouvoir l’ouvrir, mais pas moyen, ce placard ne pouvait pas s’ouvrir de l’intérieur. Abbi s’acharna le plus silencieusement possible contre la porte, se mettant vraiment à paniquer. Elle ferma les yeux et se força à inspirer bien profondément. Le stress ne vous menait jamais à rien de bon, elle le savait. Il fallait qu’elle se calme et qu’elle réfléchisse à une solution rationnelle… Il fallait qu’elle fasse le vide dans sa tête et qu'elle réfléchisse bien calmement…

« WOOOOW »
« AAAAAAAAAAH ! » Cria-t-elle en retour lorsqu’elle fut tirée de sa méditation par l’intrus, qui ouvrit la porte du placard sans prévenir. Impossible de dire lequel des deux était le plus surpris, mais leurs cris résonnèrent longtemps dans la pièce. Tellement prévisible, une fois qu’Abbi partait dans les coins reculés de son esprit, elle déconnectait complètement du monde extérieur, elle n’avait pas du tout entendu l’intrus monter à l’étage. De toute façon, qu’aurait-elle pu y faire ? Elle était enfermée de la plus débile des façons. Elle n’eut même pas le temps de déplisser les yeux que l’intrus se mit à lui crier dessus, visiblement en colère. D'ailleurs, sa voix lui était familière, mais c'était assez dur à dire, elle reconnaissait mal l'intonation sous les cris. De plus, il faisait très sombre dans la pièce, et elle distinguait à peine la silhouette. Bon, okay, c’était peut-être pas super cool de trouver une illustre inconnue dans son placard, mais ce n’était pas la peine de se montrer si énervé. C’aurait pu être pire, non ? Si c’était un serial-killer ou une junkie, ç’aurait vraiment été embêtant, mais elle n’était qu’une jeune fille totalement inoffensive qui avait un gros faible pour les maisons dotées de plantes grimpantes, en particulier celles qui étaient chauffées. Elle n'écouta pas ce qu'il lui dit, trop occupée à essayer de trouver une excuse bien crédible à lui sortir. L’intrus, ou plutôt l’inconnu, dans la mesure qu’elle était bien la seule intruse dans la pièce en ce moment, restait sur la défensive, même après avoir hurlé contre la pauvre Abbi qui ne voulait plus qu’une chose : disparaitre dans une grosse gerbe de fumée. Elle était fatiguée, sa tête tournait quelque peu, faute à trop d'alcool en une seule soirée. Ce n'était vraiment pas le moment pour qu'elle se mette à devoir réfléchir.

Elle tenta de faire marcher son cerveau le plus vite possible pour qu'il puisse répondre à la question : qu’est ce qu’elle pourrait bien trouver à dire pour expliquer sa raison ici ? S'enfuir à toutes jambes et retourner jusqu'à la fenêtre était bien peu réalisable, vu le manque de lumière et son manque d'équilibre, elle se prendrait tous les murs et les meubles passant à sa portée et elle n'était vraiment pas sûre que l'inconnu se propose de l'accompagner à l'hôpital.

« Ahaaah, vous vous êtes fait piéger ! Et oui, je suis Nancy Callahan, présentatrice de la nouvelle émission de caméra cachée nommée : "Qu’est-ce qui se trouve dans votre placard ?" Merci à vous de votre collaboration ! » Elle fit un pas en avant, sortant du placard en titubant et faillit tomber sur son interlocuteur, mais elle réussit à se rattraper de justesse. Pas sûre qu'il la rattrappe si elle lui tombait dessus... Abbi continua de son ton enjoué, tentant comme elle pouvait de se rémemorer le nom de famille qu’il avait cité. « Sur ce, je vais vous laisser, Monsieur … huum … Stagolds. » Ce ne fut qu'une fois que les mots sortirent de sa bouche qu'elle fit les connexions. Oui, le cerveau d'Abbi était très lent quand il était crevé. La voix, le nom, toutes les pièces finirent par s'assembler, et elle se mit à hurler « STAGOLDS ?! Merde, Améo, c'est toi ?! » Elle eut un mouvement de recul, totalement paniquée, et butta sur le bord du placard, ce qui eut pour effet de la déséquilibrer. Résultat, elle tomba en arrière, au beau milieu du placard, causant un fracas énorme, se cognant un peu près partout, tout en continuant à hurler. Elle sentit une douleur aigûe sur sa jambe et en touchant l'endroit du mal, elle constata qu'elle s'était mise à saigner. Elle aurait volontairement cherché à se mettre dans la position la plus embarassante du monde, qu'elle n'aurait probablement pas fait autrement. « BORDEL DE MERDE ! »